Le monde du Haut Artisanat fait une halte au LPO Eugène Hénaff. On s’agite, on veut voir … Je quitte le bureau, je retrouve Madame Lamarti et Monsieur Kirsch, collègues d’Arts Graphiques et d’Arts Appliqués dans les ateliers d’EBENISTERIE, section Brevet des Métiers d’Art.
Ça sent le grillé : des outils sont posés sur une plaque électrique branchée. Les élèves d’autres classes tendent le cou. Ils parlent avec les apprenants de 1re année du Brevet des Métiers d’Art Ebénisterie. Ils sont quelques-uns à leur établi, concentrés sur leur ouvrage. Le groupe se resserre autour des outils un peu vieillots.
Le professeur Monsieur Benhamouche, est allé les chercher auprès d’un professionnel, « un vieux de la vieille ».
On n’en trouve plus tellement nous dit-il. On sent qu’il est heureux de montrer ce geste à ses élèves, aux autres lycéens et à nous ses collègues.
On n’apprend plus à utiliser ces roulettes à marquer, nous confie-il.
C’est dommage, très dommage, ce geste de l’artisan ne s’apprend plus, ne se transmet plus.
C’est désormais un trésor que seul l’artisan possède.
Ce savoir-faire d’excellence est en voie de disparition.
Sans bruit et sans tapage, le professeur a choisi de montrer et d’apprendre celui-ci à ses élèves passionnés et avides de nourriture d’exception, de savoirs remplis d’âme ouvrant la porte à toutes leurs audaces.
Point de grands discours, nous comprenons tous qu’Art et Artisanat vont de pair. De même que les gestes, les ajustements, les essais et la maitrise du geste au service de la beauté, constituent une suite logique, évidente de l’apprentissage. Il y a là mélange de matériaux et la simplicité délicate des formes et des lignes.
Dans le brouhaha de l’atelier, nous entrons dans un monde feutré et délicat. Sensible et précis. Un univers de patience et virtuosité où le geste peut en quelques millimètres tout changer. En toute humilité, le professeur souhaite montrer, transmettre, et donner. C’est sans doute là, que se déploie toute la beauté de la transmission et que tout fait sens.
Nous avons de la chance, nous assistons à un moment rare de rencontre entre le matériel – le bois et le cuir en l’occurrence – et le geste d’exception, immatériel par excellence.
Le professeur prend une des roulettes, la refroidit sur une éponge mouillée. Il déroule une bobine à ruban doré, il pose la roulette doucement et fermement, il fait rouler cet outil, pas totalement sûr encore de son geste.
Son émotion est perceptible et nous impacte, nous spectateurs. Comme si ce geste ancien et ce formateur se saluaient, avant que de se reconnaitre.
Ce sont de vieux amis.
Monsieur Benhamouche prend une roulette avec d’autres motifs. Le geste devient plus précis.
Nous avons retenu notre souffle et enfin les questions explosent.
Est-ce qu’on peut le faire directement sur le cuir, est ce que le grain du cuir joue ? son épaisseur ? y-at-il d’autres types de rubans …
Ce moment beau et simple nous a ravi.
Le formateur a fait appel à nos sens : le langage, l’exemple, le toucher et l’écoute.
Monsieur Benhamouche est « un passeur » et son partage de l’expérience semble transparent et très apprenant. Tous, nous avons participé à un morceau de transmission.
Et nous comprenons maintenant parfaitement cette phrase : « avoir les yeux au bout des doigts ».
Mme Baboulat
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