La réponse d’une élève à la lettre de la romancière Marion Brunet

La romancière Marion Brunet avait adressé une lettre aux lycéens...

Andreya, élève de Première au lycée Hénaff, a pris sa plume pour lui répondre.

Voici la lettre qu’elle lui adresse :

Je ne suis pas douée dans l’écriture des lettres. Souvent, je ne sais pas comment les commencer, et quand je choisis une tournure qui me paraît convenable, j’ai l’impression que quelque chose y manque. Je suis toujours insatisfaite de mes écrits et encore plus de la manière par laquelle je les commence.

L’écriture est très délicate. Le changement d’une phrase, d’une tournure ou même d’un seul mot peut totalement changer la réaction qu’aura le lecteur. Le commencement est ainsi la partie la plus importante de quelconque écrit, que ce soit un roman, un récit ou une lettre. Même si cela me frustre à chaque fois, j’y trouve de la beauté. L’écriture, aussi agaçante qu’elle peut être, nous donne le pouvoir de transmettre nos émotions à un autre, nous donnant une voix qui est entendue par de milliers et de milliers d’individus qu’on ne connaît pas. Mais, elle ne nous oblige en aucun cas à partager ce qu’on veut cacher. Elle peut être notre échappatoire, sans que personne ne découvre son existence. Elle peut nous libérer de notre souffrance en silence, sans jugement et sans blâme.

Je n‘écris ni des romans, ni des nouvelles. Je ne souhaite pas partager les petits messages que j’écris pour moi-même, encore moins devenir écrivaine. Cependant, je suis tombée amoureuse de la littérature et de toutes ses particularités. Je reste bouche-bée devant le génie des écrivains connus et anonymes, morts et vivants. Je pense sincèrement que l’écriture et la lecture sont la raison pour laquelle je suis celle que je suis aujourd’hui. Elles m’ont formée tel un sculpteur et elles m’ont donné la réponse à toutes mes questions.

L’existentialisme est un sujet qui m’intéresse énormément, et les écrits d’Albert Camus ainsi que ceux de Samuel Beckett m’ont fait revivre la passion que j’ai eu pour ce sujet il y a des années. Pendant cette période de confinement, j’ai pu découvrir des extraits de La Peste de Camus ; des extraits fortement intéressants si on considère notre situation actuelle. Ils m’ont permis de découvrir l’idéologie de Camus c’est-à-dire celle d’un absurdiste qui connaît la souffrance d’une vie sans but. En effet, cet écrivain a affirmé à plusieurs reprises que la présence commune de l’Homme et du monde n’a aucun sens. Pourquoi vivons-nous ?
Pourquoi devons-nous passer par toute la souffrance que la vie nous offre alors qu’on ne connaît pas son but ? Pourquoi devons-nous continuer à vivre ? Albert Camus affirme lui-même que « mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance ».

Comme future psychologue, la question du suicide m’intrigue au-delà de toute mesure. La plupart des suicides sont causés par un état dépressif qui rend l’individu désespéré, ne trouvant pas l’utilité de toute sa souffrance. Alors comment peut-on justifier que le suicide n’est pas une solution valable face à l’absurdité de la vie ? Comment peut-on condamner une décision qui repose sur une réflexion tout à fait logique ? Et bien, selon Camus, la prise de conscience du caractère machinal de l’existence et de la certitude de la mort n’est qu’une partie de l’Absurde. Elle doit conduire à l’action et à la révolte, c’est-à-dire qu’il faut relever le défi de l’absurdité et continuer à vivre. C’est donc la révolte qui donne du sens à la vie puisque c’est elle qui permet à l’Homme de conquérir sa liberté.
Ce raisonnement est présent plus ou moins explicitement dans toutes les œuvres faisant partie du mouvement de l’Absurde. Elles ne visent pas de créer l’illusion de la vérité. Elles plongent leurs personnages dans un monde qu’ils ne comprennent pas avec un manque de continuité dans les actions ou même avec une absence totale d’histoire. Ce sont les œuvres telles que Oh les Beaux Jours de Beckett dont je suis tombée amoureuse pendant ce confinement. C’est en lisant les histoires d’êtres prisonniers de forces invisibles et perdus dans le chaos de leur monde que j’ai découvert énormément de choses sur moi-même ainsi que sur le monde dans lequel je vis.

La réalité habite la fiction. Les histoires fantastiques et réalistes, courtes et longues, sont toutes des produits de notre monde vu par les yeux de l’auteur, du créateur. C’est pour cela que j’aime la littérature. C’est car elle est une porte sur le monde qui nous fait découvrir des choses qu’on n’a même pas osé imaginer. Elle nous trouble et elle nous frustre. Elle met au défi nos croyances et nos valeurs, nos pensées et nos réflexions les plus intimes. Elle trouble ceux qui sont dans le confort et conforte ceux qui sont troublés, et dans cette période tellement étrange, je pense que c’est exactement ce qu’il nous faut.

Comme avec les commencements, je ne sais jamais avec quoi terminer mes écrits. Lorsque je m’exprime de cette manière, mon cerveau va dans deux mille sens différents et j’ai tendance à écrire sans arrêt. Exprimer une pensée avec une seule phrase me semble impossible, donc résumer tout ce que je viens d’écrire est impensable.
Je vous laisse alors avec une citation d’Albert Camus puisque j’ai énormément parlé de lui : « La grandeur de l’homme est dans sa décision d’être plus fort que sa condition ».

Andreya Luncheva, élève de Première