Créée, imaginée et mise en scène par le talentueux Gilles Sampieri, accompagné de ses deux comédiens Walter Thompson et Maxime Levêque, cette œuvre est très touchante. Une histoire émouvante, qui amène à réfléchir à des sujets sociaux cruciaux.
Jouée au Colombier, Les murs sauvages nous dépeint la situation compliquée d’une banlieue oubliée en cruel manque de moyens et de travails. Un entraîneur et son jeune joueur extrêmement talentueux apprennent à se comprendre et à vivre ensemble à travers leur ascension dans le foot. Le jeune homme rêve de rentrer dans l’équipe de France et s’entraîne très souvent avec son coach. Ils se confrontent constamment l’un à l’autre. Assez rapidement, les conflits interviennent dans cette relation et le jeune homme se heurte aux idées d’un adulte alcoolique au passé lourd et douloureux qui vit encore dans ses souvenirs.
C’est une œuvre réfléchie et parfaitement interprétée. Les comédiens réussissent à donner vie à des personnages qui n’ont même pas de nom, grâce à eux, nous connaissons leur histoire. C’est cela qui est fantastique : la capacité des comédiens à se plonger dans un personnage, de devenir, au fond, pour quelques minutes ou heures, leur personnage, et revêtir pas seulement un costume, mais une manière d’être, de penser, de parler, puis, lorsque la pièce prend fin, faire disparaître ce personnage aussi rapidement qu’ils l’ont fait naître.
Cette pièce est passionnante. Tout d’abord, il y a cette alchimie qui se crée entre les deux personnages, un lien fort qui se construit, presque paternel et très affectueux qui contribue à accentuer la complexité des rapports entre les deux protagonistes. En effet, qui dit rapport paternel, dit aussi disputes, conflits et désaccords, parfois même, très violents. Notamment lorsqu’après un match, le coach et son poulain se retrouvent tous les deux dans les vestiaires et le jeune homme surprend son aîné à boire, hanté par son passé qui laisse une plaie profonde dans sa chair ; des insultes sont échangées, des paroles cinglantes et brutales qui expriment au fond toute la rancœur qu’ils ont fait grandir en eux depuis trop longtemps. Rancune due à la frustration de l’entraîneur qui s’est vu mettre sur la touche et renvoyer dans le 93, mais aussi à ce face à face avec la modernité qui le dépasse. Rancœur du jeune homme, nouveau talent dans le foot, qui voit sa ville se dégrader jour après jour sous ses yeux, sa ville dans laquelle il n’y a presque plus d’emplois, où les infrastructures sociales tombent en ruines et les équipements sportifs ne sont plus dignes de ce nom. Ce qui amène à poser un grand nombre de questions : pourquoi laisser à l’abandon certaines banlieues ? Pourquoi n’a-t-on pas plus de moyens, ne serait-ce que pour les équipements sportifs ? Pourquoi privilégier des villes à d’autres ? Pourquoi l’injustice sociale ? Mais aussi de la part de l’entraîneur : pourquoi changer cette banlieue qu’on a appris à aimer et qui fait partie de notre vie ? C’est un thème qui revient d’ailleurs très souvent chez ces deux personnages.
Les décors aussi sont très bien choisis, en particulier les accessoires, il n’y a d’ailleurs qu’un seul élément de décor, qui renferme tous les accessoires : un casier, dans lequel sont rangées toutes sortes d’affaires, aussi bien des crampons que des photos ou encore un miroir. C’est un parti pris risqué mais très efficace, effectivement, ce décor rappelle et renvoie à tout un monde et donne une tout autre dimension à la pièce ainsi qu’une grande profondeur, il nous laisse le choix de l’interprétation et nous emmène, dès le début, au cœur de l’histoire. C’est ce qui montre le génie de cette mise en scène ; le casier, inanimé, fait vivre à lui seul ce décor. Puis, le choix musical est parfait, cette musique, avec beaucoup de basses et très rythmée, fait fortement penser au rap français et américain. De plus, des bruits de fond sont ajoutés, comme des sirènes de police, des voix, ou encore des voitures et des motos. Ce sont tous ces petits détails qui contribuent à rendre cette œuvre si intéressante. Sans compter les éclairages et jeux de lumières qui donnent une profondeur particulière à chaque mouvement effectué par les comédiens. Enfin, la taille de la salle amplifie cette sensation de vivre l’histoire presque autant que les deux personnages, la salle du Colombier est très petite, mais, ce n’est pas une critique, au contraire, le metteur en scène et les comédiens ont réussi à en faire un avantage immense, la proximité entre le public et les comédiens est une véritable invitation à, littéralement, plonger dans l’intrigue.
Pour finir, je trouve cette pièce très émouvante. Je suis d’ailleurs allée la revoir récemment, c’est très intelligent d’utiliser le sport et la relation entre un entraîneur et son joueur pour exprimer et mettre en lumière tous les problèmes auxquels se confrontent les banlieues du 93. Les murs sauvages fait partie d‘une trilogie de pièces qui ont un fil conducteur ; le 9.3. Les deux autres œuvres s’intitulent Auteur mort en résidence et La veuve du 9.3, qui quant à elles, décrivent un monde encore plus violent et qui mérite qu’on s’y intéresse pour autre chose que pour en juger la pauvreté ou la dégradation qu’il subit.
La Plume.
Louise Wilfert-Portal 2GTD
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